Face au décrochage des ménages les plus pauvres, mis en évidence par l’OFCE, le collectif d’associations de lutte contre l’exclusion Alerte rappelle, dans une tribune au « Monde », au gouvernement, qu’il est urgent de revaloriser le RSA et les APL.
L’étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) rendue publique le 5 février éclaire douloureusement le débat sur l’impact des mesures fiscales et sociales engagées depuis 2018 sur le pouvoir d’achat des Français. Après un début de quinquennat marqué par une forte baisse de la fiscalité des plus aisés, les mesures prises dans le prolongement du mouvement des « gilets jaunes » ont majoritairement bénéficié aux classes moyennes et aux personnes en activité : augmentation significative de la prime d’activité, baisses des impôts sur le revenu et de la taxe d’habitation, défiscalisation des heures supplémentaires.
Cependant, l’analyse des effets de cette politique sur le budget des ménages situés aux extrémités de l’échelle des revenus est très inquiétante. Sur les 17 milliards d’euros de gains de pouvoir d’achat cumulés depuis 2018, 4 milliards ont été versés aux 5 % des ménages les plus aisés. Dans le même temps, les 10 % des ménages les plus pauvres (qui vivent avec moins de 1 000 € par mois) n’ont bénéficié d’aucun de ces avantages.
Pis, ils ont vu leurs conditions de vie se dégrader. Depuis le début du quinquennat, les mesures sociofiscales analysées par l’OFCE ont octroyé aux 5 % les plus aisés 2 905 euros de revenus en plus, et amputé de 240 euros les maigres revenus des 5 % les plus « pauvres ». Preuve s’il en est de la nécessité d’évaluer l’impact de toutes les politiques publiques sur les 10 % les plus pauvres.
Objectif d’au moins 870 € par mois et par personne
Aussi, les associations de lutte contre l’exclusion alertent le gouvernement depuis des mois sur la paupérisation inacceptable d’une partie de la population privée d’emploi, victime de la diminution des aides personnalisées au logement (APL) et de la désindexation de plusieurs prestations (APL, allocations familiales) qui progressent moins vite que l’inflation. D’autant qu’à ces économies décidées en 2018 et 2019 s’ajoutent le durcissement de l’accès aux allocations-chômage et la diminution de leur montant qui touchera avant tout les chômeurs les plus précaires, en particulier les jeunes.
Autant de réformes qui pèsent directement sur les ménages les plus pauvres. La fragilisation des plus pauvres, trop souvent accusés de ne pas faire d’efforts pour s’en sortir, va à l’encontre des principes élémentaires de justice sociale. Surtout, elle rend chaque jour plus difficile l’accès aux biens essentiels (le logement, l’alimentation, la santé, l’éducation, les loisirs, la culture, la participation à la vie publique) pour des ménages poussés vers la pauvreté alors qu’ils sont accusés de ne pas faire d’efforts pour en sortir. Comment peut-on vivre dignement avec 560 € par mois (492 € sans le forfait logement) ?
Rappelons que dans le cadre des « Objectifs de développement durable », la France s’est engagée devant les Nations unies à éradiquer la grande pauvreté (40 % du revenu médian, soit 700 € par mois) d’ici à 2030. Dans le cadre de la concertation nationale engagée par le gouvernement sur la définition d’un « revenu universel d’activité », les associations défendent un revenu convenable d’existence, à au moins 870 € par mois et par personne (la moitié du revenu médian), et ce dès la majorité. Cet objectif ambitieux pourra être mis en œuvre progressivement.
Pour éviter une nouvelle augmentation du taux de pauvreté
Mais la création du revenu universel d’activité n’est pas prévue avant 2023 quand les mesures pour lutter contre le chômage de longue durée se font encore attendre. Or, l’urgence sociale ne peut attendre. Les associations appellent le gouvernement à une revalorisation immédiate et significative du revenu de solidarité active (RSA) et des aides personnalisées au logement (APL) pour redistribuer du pouvoir d’achat aux millions de Français qui en ont le plus besoin et qui subissent les privations les plus sévères.
L’Etat a montré qu’il savait débloquer 17 milliards d’euros face à la mobilisation du mouvement des « gilets jaunes ». Ces mesures de justice sociale redonneraient du sens à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté engagée par le président de la République en septembre 2018. Elles éviteraient une nouvelle augmentation du taux de pauvreté et des inégalités et rendraient surtout l’espoir à des millions de ménages qui se sentent aujourd’hui abandonnés par la République.
Cette tribune est signée par Laurent Desmard, président de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Devys, président du collectif Alerte, Patrick Doutreligne, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France, Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, Claire Hédon,présidente d’ATD Quart Monde, Hubert Trapet, président d’Emmaüs France.