« DE NOTRE MOBILISATION COLLECTIVE CONTRE LA PRÉCARITÉ ET LA PAUVRETÉ DÉPEND BIEN LA SANTÉ DÉMOCRATIQUE DU PAYS » – Tribune du Président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur skype

Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, dans une tribune publiée dans Le Monde et sur le site de la Fédération des Acteurs de la Solidarité, explique que rien ne sera possible sans un profond changement de méthode qui mette la participation démocratique au cœur des politiques de solidarité.

*******

Monsieur le Président de la République, notre Fédération d’associations engagées contre la pauvreté a été conduite, de manière inhabituelle, à prendre position à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle pour contribuer à empêcher l’extrême-droite d’exercer le pouvoir dans notre pays – car elle est la négation-même de la solidarité.

Nous nous autorisons dès lors, au lendemain de votre réélection, à vous le dire : les choses doivent changer. Face à tant de blocages, il est indispensable de construire la confiance sociale, condition d’une solidarité réinventée. Nous y sommes prêts.

Nous ne sous-estimons pas la difficulté de votre tâche dans un pays blessé par de longues décennies de chômage de masse, dans un temps de fragilisation sociale et culturelle. Sans compter désormais une guerre ouverte en Europe.

Mais les leçons doivent enfin être tirées de ce que nous venons (à nouveau) de vivre.

Nous sommes prêts à nous engager dans la perspective du plein emploi que vous avez ouverte. Mais elle est indissociable d’un recul massif, tangible, de la pauvreté, de la précarité ; des inégalités sociales et territoriales.

Vous le savez, la pauvreté s’enracine chez les jeunes, les femmes seules avec enfants, les chômeurs en fin de droits, les retraités, dans certains quartiers et territoires ruraux. Conjuguée à la précarisation de nombre de salariés et d’indépendants, elle accentue le vertige de tant de Français saisis par la peur de basculer. Il en découle la tentation de dénoncer les “assistés”, et les étrangers.

De notre mobilisation collective contre la précarité et la pauvreté dépend bien la santé démocratique du pays.

Mais rien ne sera possible sans un profond changement de méthode qui mette la participation démocratique au cœur des politiques de solidarité.

Les approches centralisées, bureaucratiques, formatées, n’ont que l’apparence de l’efficacité. Elles passent trop souvent à côté des réalités de la vie. Se contenter de les remettre aux mains des préfets ne changerait rien.

Les politiques de solidarité doivent, sur la base d’un socle national renforcé de droits et de moyens, partir des personnes concernées, dans leur diversité, de leurs besoins, de leurs aspirations. Il convient de déployer les dispositifs sanitaires et sociaux autour d’une exigence de continuité suivant les parcours des personnes, de partir des territoires sur lesquels elles vivent avec les acteurs qui les y accompagnent (Etat, collectivités, associations, bailleurs).

Ce profond changement de méthode repose sur la confiance.

Confiance envers les personnes qui exercent leur droit à la solidarité. La « solidarité à la source » que vous avez annoncée permettra de lutter contre le non-accès aux droits – lutte qui mériterait aussi une consultation préalable des personnes accompagnées avant toute nouvelle mesure. Mais imposer une condition d’activité pour accéder à un revenu digne – qui devrait être étendu aux jeunes – nierait la difficulté d’accéder au travail dans des vies cabossées. S’il s’agit plutôt d’un engagement réciproque, qu’il comporte d’abord l’accompagnement déjà prévu par la loi.

Confiance envers les associations dans le cadre d’un partenariat loyal et équilibré, libéré des contraintes bureaucratiques mais non de l’évaluation et du contrôle, leur assurant l’autonomie dont elles ont besoin pour agir efficacement.

Il est enfin plus que temps de faire confiance aux travailleurs sociaux, à leur expertise, à leur engagement et de leur donner les moyens d’agir. Notre pays, taraudé par les inquiétudes sociales, commet une folie : de moins en moins de jeunes se forment à ces métiers du social, du soin, de la cohésion, de l’apprivoisement des violences de la vie, faute de rémunération adéquate, de reconnaissance sociale. Il est indispensable d’inverser la tendance en mettant l’utilité sociale au cœur de la considération de notre République.

Ce changement de méthode devra également concerner les étrangers plongés dans la précarité. Notre mobilisation contre l’extrême-droite ne peut être suivie de la poursuite de politiques qui alimentent l’indignité pour les personnes et le désordre. Ce que nous faisons ensemble pour les Ukrainiens, nous sommes capables de le faire pour des femmes, des hommes, des enfants quelle que soit leur nationalité.

ll est temps de mettre en œuvre un accueil digne et maîtrisé avec les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l’asile, l’ouverture à la migration de travail, le règlement des situations humanitaires inextricables. L’inconditionnalité de l’accueil suppose l’accès pour toute personne en précarité à un hébergement, aux droits fondamentaux, à la santé, et à un accompagnement adapté à sa situation administrative.

Nos associations veulent pouvoir agir sereinement dans ce cadre. Que l’on cesse d’ériger un mur contre l’accès au séjour. Que cessent les vaines tentatives de dissuasion, les harcèlements. Que le dialogue avec les associations fasse à nouveau partie du mandat des ministres de l’Intérieur, dans une approche interministérielle.

C’est dans ce cadre d’action collective que devra prendre place un investissement social durable faisant l’objet d’une loi de programmation.

L’accompagnement social et les capacités d’hébergement nécessaires à la sortie pérenne des personnes de la rue doivent être mis en place dans la durée, en prenant en compte la somme de violences qui s’exerce contre les femmes en précarité.

La sortie de la pauvreté ne se fera pas sans une relance du logement social, aujourd’hui en panne. Il revient à l’Etat d’assumer désormais pleinement ses responsabilités et d’y associer toutes les collectivités, et d’abord les plus réfractaires, et les bailleurs sociaux.

Enfin, il n’est plus possible que la fatalité de l’errance avec son cortège de difficultés de santé, de violences, d’addictions, continue à s’abattre aussi implacablement sur tant de jeunes passés par l’aide sociale à l’enfance. Les enfants doivent constituer une priorité, comme vous l’avez annoncé, pour le quinquennat qui s’ouvre.

Il vous revient, Monsieur le Président, avec le gouvernement, de poser les bases de cette confiance sociale indispensable à notre vitalité républicaine.”