855 personnes mortes dans la rue en 2024 en France : un bilan tragique qui interroge nos choix politiques

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En 2024, la France a enregistré un triste record : 855 personnes sans domicile sont mortes à la rue, contre 611 en 2023 et 623 en 2022. Parmi elles, dix-neuf enfants de moins de quatre ans et sept adolescents. La moyenne d’âge au décès (48 ans) accuse un écart de plus de trente ans avec l’espérance de vie dans la population générale. 

Dans un pays classé parmi les premières puissances économiques mondiales, ce bilan questionne les priorités collectives et la capacité réelle de l’État à garantir le respect des droits fondamentaux.  La question ne relève pas seulement de l’indignation morale : elle renvoie à une faillite politique et sociale majeure. Car garantir un toit n’est pas qu’un objectif humanitaire – c’est la condition minimale pour reconstruire des parcours de vie et garantir l’accès effectif aux droits fondamentaux.

L’augmentation des décès à la rue, symptôme d’une crise structurelle

Si l’on peut attribuer une part de la hausse du nombre de décès à une amélioration des outils de recensement, cette explication statistique ne suffit pas. Le fond du problème est ailleurs : la France détient aujourd’hui le taux de sans-abrisme le plus élevé de l’Union européenne. Selon la Fondation pour le Logement des Défavorisés, 350 000 personnes étaient sans domicile en France en 2024, contre 330 000 en 2023 et 300 000 en 2020. Dans le même temps, le nombre de personnes mal logées dépasse les 4 millions. 

Ces chiffres traduisent une aggravation continue de la crise du logement et l’insuffisance des politiques publiques pour enrayer le phénomène. Huit ans après l’annonce présidentielle de 2017, où E. Macron promettait qu’il n’y aurait bientôt « plus personne à la rue », la situation s’est dramatiquement détériorée – révélant le décalage entre les ambitions politiques affichées et les moyens réellement déployés.

Un processus de désaffiliation sociale nourri par les logiques du marché

Le sans-abrisme est le fruit d’un processus lent et cumulatif de désaffiliation sociale, où s’enchaînent des ruptures – familiale, scolaire, professionnelle, administrative – qui, une fois mises bout à bout, fragilisent les individus et les éloignent durablement de leurs droits fondamentaux. Un tel processus traduit à la fois une érosion progressive des liens sociaux et une perte de reconnaissance institutionnelle, qui aboutit à une grande exclusion dont la forme la plus aiguë est, sans doute, le sans-abrisme.

Ces trajectoires de marginalisation s’ancrent dans un environnement institutionnel souvent opaque, éclaté et difficile à naviguer. Pour les personnes déjà fragilisées, cette complexité ne fait qu’aggraver l’isolement, l’épuisement psychique, la précarité sanitaire. En l’absence d’un accompagnement adapté et facilement accessible, la rue peut cesser d’être une situation temporaire pour devenir un lieu d’ancrage contraint, où s’installe une forme de marginalisation durable.

Enfin, à ce cumul de vulnérabilités individuelles et institutionnelles s’ajoute une dimension structurelle : l’impact des logiques de marché sur l’accès au logement. La crise du sans-abrisme s’inscrit dans un contexte plus large de marchandisation du logement, où la spéculation immobilière, la raréfaction du logement social dans les zones tendues, la baisse des aides au logement et la précarisation du travail ont progressivement détricoté les protections collectives. 

Une opportunité européenne à saisir

Dans ce contexte, la future stratégie européenne de lutte contre la pauvreté représente une occasion à ne pas manquer. Cette dernière devrait intégrer un axe structurant sur la lutte contre le sans-abrisme. Pour cela, il est nécessaire de s’attaquer aux causes systémiques : la pénurie de logements sociaux, le manque de prévention, les sorties abruptes des dispositifs institutionnels et la criminalisation des personnes sans-abri. 

Parallèlement, la Commission européenne prévoit de lancer, au premier trimestre 2026, un plan européen pour le logement abordable. Ce plan vise à soutenir les autorités nationales, régionales et locales dans la création de logements accessibles, durables et de qualité, en mobilisant des outils financiers et réglementaires adaptés. À condition d’être pleinement saisis, ces leviers peuvent contribuer à bâtir une réponse structurelle à la hauteur des enjeux.

La nécessaire participation des personnes concernées

EAPN dénonce fermement le fait que, trop souvent, les politiques publiques soient pensées sur les personnes sans abri, sans être élaborées avec elles. Or, qui mieux que celles et ceux qui vivent ou ont vécu la rue peuvent en comprendre les impasses, pointer les angles morts des dispositifs, identifier les leviers concrets du changement ? Leur parole est une expertise. L’inclusion effective des personnes concernées dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques du logement est une condition de leur légitimité et de leur efficacité. 

855 morts à la rue en un an : ce n’est pas une fatalité, c’est un échec collectif. Un signal d’alarme qui révèle l’urgence de repenser en profondeur nos choix politiques, notre modèle social, nos priorités budgétaires. Face à une crise qui coûte des vies, il ne peut plus y avoir de demi-mesure : garantir un logement digne pour toutes et tous doit devenir un impératif non négociable. EAPN France appelle à faire de la lutte contre le sans-abrisme une priorité nationale et européenne, avec des moyens à la hauteur de l’enjeu, pour qu’enfin, plus personne ne soit condamné à mourir dans la rue.